J’accuse de Roman Polanski

Alfred Dreyfus (Louis Garrel), capitaine de l’armée française, est dégradé le dans la cour d’honneur de l’École militaire de Paris devant une foule haineuse qui crie « Mort au Juif ! ». Il a été condamné à la dégradation militaire et à la déportation perpétuelle suite au procès qui s’est tenu à huis-clos lors d’un conseil de guerre à Paris, procès pendant lequel il a  été reconnu coupable à l’unanimité de trahison et d’intelligence avec l’ennemi (l’Allemagne).

Le lieutenant-colonel Marie-Georges Picquart (Jean Dujardin) est promu en 1895 chef de la section de statistiques (service de renseignement militaire).  Dans le cadre de son activité quotidienne, il intercepte un document, surnommé ensuite le « petit bleu », qui lui fournit la preuve qu’un autre officier français, Ferdinand Walsin Esterhazy, partage des informations avec l’Allemagne. Il lance une enquête interne sur Esterhazy, découvre qu’il fréquente effectivement des officiels allemands et surtout en lisant son dossier, il s’aperçoit que l’écriture d’Esterhazy correspond en tous points à celle de l’auteur du fameux bordereau, pièce maîtresse dans la condamnation de Dreyfus. Il avise immédiatement sa hiérarchie, mais à sa grande surprise, ces supérieurs lui demandent de ne pas mélanger les deux affaires : s’il a toute liberté pour continuer à enquêter sur Esterhazy, il ne doit pas rouvrir le dossier Dreyfus.  Mais pour l’honneur de son armée, Picquart poursuit son travail, de plus en plus convaincu de la culpabilité d’Esterhazy et a contrario de l’innocence de Dreyfus.

Un film étrange, non pas à cause de la polémique qui a accompagné sa sortie et sur laquelle il y a finalement peu à dire, mais bien par ses partis-pris artistiques.

Et tout d’abord son scénario. Le film est l’adaptation d’un roman historique de Robert Harris, D, publié en 2013. Un roman qui certes s’appuie sur un travail de documentation historique mais, comme le remarque l’auteur de cet article de blog, n’est pas exempt de travers fictionnel. Un Dreyfus antipathique, face à un Picquart devenu le héros qui se bat envers et contre tous, tous ses éléments sont dans le roman de Harris et sont portés à l’écran par Polanski. Et quand on l’entend dire lors de la promotion, comme dans cette interview pour Le Monde, que Dreyfus n’est pas un personnage intéressant, on se demande pourquoi il a fait ce film, si ce n’est pour glorifier Picquart. Mais alors dans quel but ? Interrogé sur les livres qu’il a lus sur l’affaire Dreyfus, Polanski reste vague, cite surtout comme point de départ de ce film, une scène de La Vie d’Emile Zola, de William Dieterle. Bref, il a une approche de cette affaire qui reste très fictionnelle, ne semble pas l’avoir testée à l’aune des recherches actuelles en histoire, pire il s’inscrit complètement dans la vision de Harris, sans forcément au moins du point de vue du scénario apporter une touche personnelle. Harris dénaturait complètement l’affaire dans son roman, et Polanski fait de même dans son film.

Maintenant la réalisation. Car Polanski n’a pas eu de prix pour la qualité de son adaptation ou pour la qualité de son scénario original, mais bien pour sa réalisation. Dès lors que voit-on ? Une mise en scène pompeuse, qui surexpose le caractère engoncé de l’époque, donne visuellement une distance incroyable entre l’époque décrite et notre époque, à tel point que le film parait suranné, dépassé, déconnecté de nous, le pur produit d’une époque révolue.  Les décors paraissent vieillots, les costumes également, et la mise en scène ajoute une touche supplémentaire dans cet atmosphère qui sent la naphtaline en suivant des acteurs qui paraissent empruntés dans leur rôle, mal à l’aise dans ce récit qui est loin d’avoir les qualités d’un thriller (le jeu d’Emmanuelle Seigner est catastrophique). Plus que de l’ennui, on ressent une certaine gêne à visualiser ce cinéma qui parait vieillir sous nos yeux.

Le film parait au final extrêmement antipathique. Les personnages sont froids, la mise en scène est pesante, le propos lourd. Des scènes attendues, comme celle concernant Emile Zola et la publication de son article « J’accuse », sont décevantes car elles paraissent vidées de leur dynamique, évoquées juste pour la forme, sans faire naître parmi les personnages et par contagion chez le spectateur un quelconque intérêt, si ce n’est celui de ce dire que la chose a été évoquée. Avec fadeur. Mais évoquée tout de même. Il est rare de voir un film qui parait aussi détestable, non pas par son propos (on ne comprend d’ailleurs pas très bien ce qu’il veut dire de cette affaire) mais par son esthétisme. Le film, le montage, la direction d’acteurs, tout concourt à rendre ce film moche. Est-ce voulu ? Peut-être. Mais encore une fois pour quelle raison rendre antipathique Dreyfus, faire de Picquard un personnage froid et agressif, faire de cette époque un univers suranné, démodé, loin de nous ? Et que voulait dire l’académie des Césars en remettant le prix de la meilleure réalisation à un tel film ?

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