Les rigoles de Brecht Evens

Une ville. Une nuit. Une ville européenne, probablement une capitale qui ressemble étrangement à Paris. Une nuit chaude pendant laquelle il fait bon traîner dans les rues et dans les bars. Trois individus déambulent dans la nuit, à la recherche de rencontres, de sensations nouvelles et peut-être d’un but pour continuer à se tenir debout.

Jonas va passer sa dernière nuit dans cette ville de toutes les lumières puisqu’il doit rejoindre le lendemain sa femme et ses enfants à Berlin. Cette dernière nuit doit donc être inoubliable avant de rejoindre le carcan familial. Malheureusement, aucun ami est disponible et il doit se contenter de Buzz, une vague connaissance peu recommandable.

Rodolphe quand à lui a perdu le goût de la fête mais cette nuit sera celle de la renaissance d’un personnage qu’il incarné jusqu’alors, le Baron Samedi. Son double féminin, Victoria, traverse aussi une mauvaise passe. D’une soirée anodine et sans excès avec des copines, Victoria va bientôt se trouver entraîner dans une spirale délicate pour sa santé mentale.

Cinquième album de Brecht Evens que je lis, après Les Noceurs (2010), l’excellent Les Amateurs (2011), l’énigmatique Panthère (2014) et son récent Roi Méduse (2024). Il retrouve un monde qu’il connaît bien, celui des fêtes nocturnes qu’il avait déjà croqué dans Les Noceurs. Je retrouve avec plaisir son univers coloré et sa capacité à raconter une histoire, un sentiment, un mouvement par le « simple » travail visuel. Toutes les planches sont uniques, il n’y a jamais de bandes et de cases dans la construction de la narration, mais des pleines pages qui peuvent soit utiliser l’urbanisme de la ville pour décrire le mouvement des personnages, soit jouer des plein et des vides pour créer des espaces dans lesquels les personnages vont évoluer et l’histoire se raconter.

J’admire sa capacité à isoler des fragments d’un mobilier, d’une coiffure ou d’un corps dans un ensemble plus fou pour capter l’œil du lecteur et lui suggérer d’autres histoires. Les dialogues, souvent d’une banalité presque affligeante, occupent peu l’espace, entièrement dédié à tout ce qui ne passe pas par les mots : les postures, les gênes, toute une gamme corporelle et expressive qui a toute l’attention du lecteur. Peu d’album peuvent se prévaloir de laisser au lecteur des impressions fugaces comme la texture des perles de la coiffure de Victoria ou, dans un registre plus terre-à-terre, le préservatif de Jonas. Dans cette grandiose débauche nocturne, le sublime côtoie le vulgaire, l’euphorie la dépression dans une ode colorée à la dérive humaine.

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