Shoah et bande dessinée au Mémorial de la Shoah

Le Mémorial de la Shoah propose une exposition jusqu’au 30 octobre 2017 qui explore la Shoah telle qu’elle a été traitée dans la bande dessinée depuis les premiers ouvrages réalisés à l’époque par des témoins jusqu’aux ouvrages de fiction actuels, dans lesquels la Shoah n’est plus qu’un sujet parmi d’autres. L’approche est donc chrono-thématique et suit la conversion progressive d’un sujet d’abord investi par les témoins, puis par leurs descendants avant d’être livré complètement à l’approche fictionnelle, « pour le meilleur et pour le pire ».  

La première partie de l’exposition se focalise sur les premiers ouvrages de bande dessinée consacrés à la Shoah. Ils sont le fait de témoins directs du génocide qui décrivent l’horreur de la déportation et des conditions de survie dans les camps. Parmi eux, David Olère, détenu au camp d’Auschwitz-Birkenau de 1943 à 1945, où il est employé dans une unité de Sonderkommando. Peintre avant guerre, il dessine le quotidien du camp et survit en partie parce que les officiers SS appréciaient ses dessins. Chaïm, dit Jim, Kaliski est quant à lui témoin direct des conditions de vie des juifs belges sous l’occupation (son père sera arrêté, déporté et assassiné à Auschwitz). Horst Rosenthal réalise en 1942 un album de 15 aquarelles (vraie découverte !), intitulé Mickey au camp de Gurs dans lequel il raconte son quotidien d’homme interné dans le camp de concentration de Gusr et choisit, avec une ironie féroce, la figure de Mickey pour se représenter. Il est ensuite déporté à Auschwitz et assassiné en septembre 1942.

Mickey au camp de Gurs, Horst Rosenthal, 1942

Dans l’immédiat après-guerre, des artistes en Europe ou aux Etats-Unis évoquent la période de la guerre et parfois les camps de concentration mais de manière détournée en transposant la réalité humaine dans le monde des animaux comme Edmond-François Calvo et Victor Dancette dans La bête est morte et sans évoquer le sort spécifique réservé aux juifs (ils sont assassinés pour des actes de résistance et non pour ce qu’ils sont). Dans Captain America, le thème de la persécution des juifs est complètement absent. Deux œuvres évoquent cependant de manière explicite l’extermination des juifs : Le Héros de Budapest et Seul contre la barbarie (L’Oncle Paul), de Jean-Michel Charlier et Jean Graton paru dans Spirou en 1952  et Master Race, d’Al Feldstein et Bernard Krigstein publié dans Impact en 1955, dans lequel un ancien déporté croise son bourreau dans le métro de New York et devient le fantôme qui hante sa conscience tourmentée.

Master Race, d’Al Feldstein et Bernard Krigstein, Impact #1, 1955

Alors que la mémoire de la Shoah émerge dans la société dès les années 1960 , notamment via la médiatisation du procès Eichmann, elle est encore un tabou dans la bande dessinée : les héros s’approchent des camps d’extermination mais n’y entrent jamais. Longtemps imaginé sur le modèle de Malcolm X (avec Xavier dans le rôle de Martin Luther King), le personnage de Magnéto est réécrit (c’est important de le noter, au regard des films plus récents des X-Men, que ce soit Commencement ou Apocalypse) par ses deux créateurs pour devenir un survivant des camps, qui pense que les mutants subiront le même sort que les juifs. Peu d’œuvres évoquent frontalement l’histoire de la Shoah, se contentant d’une simple évocation. L’Histoire des 3 Adolf, d’Osamu Tezuka fait exception puisque l’auteur y évoque la Shoah, du point de vue d’un japonais.

L’Histoire des 3 Adolf, d’Osamu Tezuka, 1983

Survient alors, en 1986 et en 1991, la BD qui change tout : Art Spiegelmann publie Maus. L’ouvrage traite frontalement de la Shoah et rend compte de la difficile relation de l’auteur avec son père, survivant des camps. Produit de la génération des enfants, Maus consacre l’entrée de la Shoah dans la bande dessinée et donne au roman graphique ses lettres de noblesse. Depuis, la Shoah est un sujet abordé par la bande dessinée, par le biais de la biographie sur le modèle de Maus (Deuxième génération – ce que je n’ai pas dit à mon père de Michel Kichka), mais également par le biais de la fiction sur des sujets historiques précis (la spoliation des biens des juifs ou les zones d’ombre de l’Occupation) ou dans une approche plus mémorielle sur les différents génocides et les autres victimes du nazisme.

Maus, d’Art Spiegelman, 1986

L’exposition se clôt sur une salle entièrement dédiée aux bandes dessinées de fiction abordant la Shoah, « pour le meilleur et pour le pire » comme il est indiqué sur les panneaux d’exposition. La vigilance est de mise face à cette multiplication d’œuvres de fiction évoquant la Shoah, et véhiculant, parfois sans le vouloir, des stéréotypes fallacieux.

Comme toujours, le Mémorial de la Shoah propose une exposition rigoureuse sur ce thème de la bande dessinée. La première partie de l’exposition est plus intéressante, parce qu’on y présentait des œuvres moins connues pour ceux de la génération de l’après-Maus (et qui tendent à abonder dans le sens de François Azouvi et de son Mythe du grand silence) : redécouvrir que des témoignages sur la Shoah ont existé dès les années 40 provoque toujours un choc. Très justement, l’exposition donne une place de choix à l’auteur majeur de bande dessinées qui a transformé ce medium en art : le maître Will Eisner.

The Plot, Will Eisner, 2005

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